Cathy Garcia


Le rire de l’attardé

La rue et toutes ces portes vouées à demeure, à demeurer fermées. Tous ces murs rasés de près, clins de fenêtres en dentelles grises et les pas qui vont, les pas qui vont… Sur ce qui fut autrefois des pavés, les passants vont sans s’attarder et seul demeure, à pas perdus, comptant parmi les ratés, les exclus, seul demeure l’attardé sur qui les murs pissent leurs regrets.

L’attardé, ses mèches folles et par-dessus les valises, le regard ébahi qui hagarde le monde. Un monde rasé de près, planqué derrière ses dentelles grises, sans plus un pli, sans surprise.

L’attardé lui, tend le coquillage qui lui sert d’oreille, pour cueillir l’instant. Il en tresse des chemins. Des chemins évadés de leur peau tant et trop repassée. Des chemins inventés qui appellent, appellent, s’enroulent autour des cheminées avec tous ces rêves perdus qui flottent dans les airs.

L’attardé les sent, l’attardé le sait mais quand il le dit personne ne l’entend, quand il le crie personne ne comprend, alors il pend ses jambes à son cou et il leur fait des grimaces aux gens. Il fait le fou pour les passants. Ces passants pressés, sans une goutte de temps à consacrer à l’attardé. Pressés, pressés jusqu’au jour où l’un d’eux s’arrête, ne serait-ce que du regard, une fraction de seconde. Juste assez pour surprendre le temps.

Juste assez pour qu’un rêve perdu s’accroche à un bouton de son manteau, une mèche rebelle, une amorce de sourire. Alors il s’attarde un instant avec l’attardé, commence à parler avec lui. À parler, à parler et à rire jusqu’à la nuit tombée de haut, tellement ça la chatouille.

Et voilà deux attardés qui hagardent le monde avant de s’envoler. Deux bulles insolentes qui éclatent par-dessus les toits gris. La rue en frissonne encore.








Cathy Garcia, poète & artiste, s’est installée en 2001 dans le Lot, où elle anime la revue Nouveaux Délits, depuis juillet 2003. Liens : http://cathygarcia.hautetfort.com/ ;  http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/ ; http://delitdepoesie.hautetfort.com/. Présente dans les n°s 2, 3, 4, 6, 7, 8, 10, 14, 15, 16 et 19 de Lichen. Ce texte est extrait de Sursis, recueil publié à compte d'auteur, en octobre 2017.

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