Le Bleuet (Tombeau de
Francis Ponge)
Jadis, sa couleur
tachetait de sa teinte indigo les champs de blé. Le bleuet portait alors
fièrement l’un des éclats azur des ciels de nos campagnes les plus reculées. La
plante fut jugée nuisible par l’antique paysan qui ne l’aimait guère, ni
d’ailleurs les bêtes de ferme qui mâchaient sa tige avec un goût amer.
Aujourd’hui, elle a quasiment disparu. La chimie a eu raison d’elle et l’a empoisonnée.
Rares sont les
quelques spécimens qu’il nous est donné d’apercevoir, relégués tout esseulés,
ébahis qu’ils sont en bordure des champs. Pourtant, cette fleur petite, fragile
qui n’a ni la majesté niaise du lys, ni la grâce trop ourlée de la rose, mérite
notre intérêt.
Ce n’est qu’une
banale fleur des champs. On l’assimilerait volontiers à un méchant chardon, au
premier abord, si elle ne portait cette couleur bleue persistante qui fait son
élégance et sa présence. Quelquefois même, avec la touche délicate
d’un peintre, sa nuance colorée vient orner une vaisselle en faïence.
Cette fleur du
Bleuet, on la voit encore, au premier frimas de novembre, sur la poitrine des
officiels, telle une cocarde bleuâtre, lorsqu’on honore ceux tombés dans
des champs écorchés, il y a maintenant
plus d’un siècle.
Avec reconnaissance,
célébrons cette plante du souvenir et du sacrifice. Plantons-la dans nos
jardinets.
Dans cette
terre, où reposent et se décomposent ces
sacrifiés qui lui confieront peut-être une petite part de leur âme, elle
s’épanouira dans l’humeur triste des jours déclinants de l’automne.
Charles Duttine enseigne les lettres
et la philosophie à Paris. Son engagement dans l’écriture est récent et il a
fait le choix de textes courts ou encore du genre de la nouvelle. Il participe
à quelques revues ou sites en ligne (L’ampoule,
pastiches.net, la Gazette de la lucarne des écrivains, bloganozart, autour du court…). Un recueil de nouvelles Folklore est actuellement en souscription et sur le point de paraître
aux Editions La Ptite Hélène : http://www.laptiteheleneeditions.com/boutique/folklore.html. C'est sa première apparition
dans Lichen.
La bienvenue Charles. A mi chemin de bleuâtre a bleuetière il y a bleuet. Vous m'en mettrez un cageot. Mieux qu'une imitation, une continuité admirative et respectueuse.
RépondreSupprimerMerci Eric. Vous avez raison. Admiration et respect, c'est ce que je ressens pour ce maître des mots que fut Francis Ponge.
RépondreSupprimerQuant à vous envoyer un "cageot" de bleuets, la plante se fait si rare ...