Gabriel Henry

 

Un tigre

 

Il avait guetté son reflet dans la glace

des heures durant

jusqu’à ce que l’image se trouble, fasse des ronds dans l’eau

jusqu’à s’être mué en tigre

jusqu’à en être sûr et certain

comme on touche du bois

 

Une descente au filin dans sa chair propre

les tissus la moelle qui happent 

provinces hors cartes hors relevés hors mythes

griffues et sans réponse

 

Une semaine chavirée

ou peut-être mille neuf cent quatre-vingt-six ans

à rôdailler avec un manteau plus épais que le réel 

les rugissements qui mettent la ville au pas

ce que sauvage comporte de clandestinité bien aiguisée

calquée sur les lumières diffuses

entre les stries sans fin de voitures 

 

La pluie peut bien se mettre à tomber

peser des pierres, ou pire encore, des soupirs

il s’était dit

autant y aller à fond

sauter à pieds joints dans la fourrure convoitée

déraper, se perdre en rictus, en crocs 

comme ces deux types de Rostov-sur-le-Don

file d’attente pour de la bibine

qui se disputent à propos d’Emmanuel Kant

jusqu’au coup de feu

 

Et puis, se reformant, 

le miroir lui avait craché que tout ce temps

il n’avait pas bougé

sa langue pendait 

sifflante

un drapeau inconnu abandonné par le vent

des paysages entiers

tels qu’on se les figure mioche

n’avaient pas cessé de dégouliner 

depuis sa bouche entrouverte

qui n’était définitivement pas

une gueule  

 

 

 




Né en 1986, Gabriel Henry vit et travaille à Paris. Ses textes sont publiés dans de nombreuses revues papier et digitales (N47, ScribulationsNouveaux Délits, Comme en Poésie, Verso, Paysages Écrits, Libelle, Nerval, Le Capital des Mots, Ce qui reste,Noto, Microbe, Traction-Brabant, Festival Permanent des Mots, Méninge, La Piscine, Place de la Sorbonne, Nerval, Datura, Le Capital des Mots, lorem_ipsum, L’intranquille, Décharge, Les hommes sans épaules, Walkscapes (en anglais), Poezia (en roumain)... En janvier 2020, il a exposé sa poésie sur affiche à Montréal (poèmes-affiches de la revue québécoise Le Pied). Deux recueils sont parus aux éditions de l’Atelier de l’agneau : Chair-ville (2019) et Humain juste humain (2021). Voir ses blogs-carnets d'écriture : www.lorageaupoing.blogspot.com et http://gabrielhenry-poesie.tumblr.com/. Présent dans les n° 2, 3, 4, 5, 12, 13 et 14 de Lichen.

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