Encore d'autres extraits de Jours
Tu pensais sérieusement que, par le passé, les gens voyaient avec ce même
noir et blanc que les images qu'ils nous ont laissées. Tu me l'as répété
aujourd'hui comme un fait important, comme je l'avais perdu dans les petits
deuils émiettés de nos jours.
Je voudrais alors te dire que j'appartiens pour partie à ce siècle
disparu, sur mes photos de nourrisson gris, et puis qu'à ton âge, j'ai vu le
monde dans ces virements de couleurs jaune-oranger, avant de rejoindre
l'éternité lumineuse des écrans de nos vies, avec toi. Tu ne me croirais
seulement pas.
*
Par deux fois
j'ai senti ce qui ne peut plus être même un regret, ton esprit a quitté les
prouesses hasardées d'une enfance et s'est affermi, comme tes cheveux ont
poussé. Cependant tu restes prudente à ne pas brusquement chasser de mes yeux
celle qui fut. Durant ces jours printaniers, tu te rappelles trop fort à toi
pour jouer à me faire oublier que tu joues.
*
À l'essayage de robes trop grandes, les talons
galochés te forment un mollet anachronique. Ce n'est pas tant ton corps
prévisible que je poursuis au miroir hâtif du temps, mais ta voix d'une musique
sans direction et sa langue sans écriture.
*
Tu m'interromps ici pour une affaire cruciale
de tournevis et de piles, mais ces épines ne seront jamais mes ennemies
domestiques. Ainsi tu me fais sans effort, sinon mes
doigts trop gourds, surpasser en sagesse Montaigne et Descartes, réunis
finalement à demeure en leurs jolies formules, plus celle qui pourrait me venir
en souvenir d'une relâche de l'esprit. Écrire est bien un tout
de vivre.
*
Ma tête s'étonne encore de trouver sans effort
ni calcul un angle de toi où se caler. Puis le silence.
*
Lorsque aujourd'hui tu me prends sous ton bras
en charge de ce qui reste à vivre ; tu ne fais plus semblant, je ne fais
plus exprès.
Né à Gien en 1971, Nicolas Le Golvan y enseigne le français. Ses travaux d'écriture touchent de nombreux domaines littéraires : il a publié trois romans, deux recueils de nouvelles, une pièce de théâtre, un recueil de poésie). Il participe également à plusieurs revues de création littéraire, dont Décharge, Dissonances, Squeeze, Inédit nouveau, Le cahier du Baratin, L’Ampoule, La Revue des ressources, Moebius, Incandescentes... Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_Le_Golvan. Présent dans les n°s 7, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18 et 19 de Lichen.
J'adore le premier fragment sur l'évolution de la photographie ! Le rapport à l'enfant est très touchant également. Votre langue m'étonne : un classicisme, que je qualifierais (faute de mieux) de raffiné et quelque chose qui vient le saborder. Merci pour ces textes !
RépondreSupprimerMerci à vous.lg
RépondreSupprimerfort et lumineux comme après une gorgée de Liqueur de Chartreuse.quel talent d'écriture! que dire de plus?
RépondreSupprimer